Le témoignage de Laurence
dans
le cadre de cette 6eme mission, le groupe de Bordeaux associé aux membres de
Marseille s’est rendu à Gaza du 26 au 31 décembre. C’est sur les
temps forts que nous avons vécus là-bas que portera mon
témoignage, en ayant toujours en mémoire la promesse faite aux membres
du PCHR (Organisation des droits de l’homme en Palestine) qui a organisé
notre séjour, de témoigner à notre retour.
Les mots seront faibles pour rendre compte des exactions et des humiliations
subies quotidiennement par les palestiniens sur la bande de Gaza, reconnue comme
leur par les instances internationales. Impunément occupée sur 40% par les
colons et l’armée israélienne, cette bande de terre de 45km sur 10 km est
habité par 1.200.000 personnes dont 700.000 réfugiés (densité : 3 300
habitants /km²) les colons déclarés,
y sont 5000. En réalité il y en a beaucoup moins ; la politique israélienne
veut remplir de force les colonies ; mais malgré les ponts d’or qu’on leur
fait, de moins en moins d’israéliens veulent s’y installer.
Les autorités israéliennes ont coupé la bande de Gaza en 2 zones
bloquant toute circulation des individus et des marchandises, et empêchant
toute communication et contact entre les 2 parties.
Notre première étape se fera sur la commune agricole de Beit Lahia au nord de
la Bande de Gaza. Saïd y exploite (ou plutôt exploitait) une petite ferme
coincée entre 2 blocs de colonies. Malgré les souffrances quotidiennes ,il
nous accueille chaleureusement avec toute sa famille et nous fait faire le tour
de l’exploitation. Sur des centaines de m² tout a été ravagé par les
bulldozers de l’armée : orangeraies, laiterie, serres,
poulaillers, hangars. Il ne reste que la maison où l’on aperçoit
encore les impacts de balles. Saïd, sa femme et leurs enfants nous décrivent
les scènes qui se sont déroulées sur plusieurs jours. La dignité de cette
famille est impressionnante ; sans aucun sentiment de vengeance ou d’animosité
mais animé par l’assurance de son bon droit le père nous répète à
plusieurs reprises : « Ils auront beau tout détruire, tout nous prendre,
ils n’auront pas nos âmes » . Nous les quittons , impuissants devant
tant de barbarie et d’injustice et apercevons tout près les bâtiments
militaires qui protègent les colonies.
Nous constatons l’étendue des dévastations des autres terres agricoles de la
commune. On s’attaque aux paysans de la manière la plus perfide : détruire
leurs exploitations, saccager les plantations sachant qu’il faudra des années
pour les reconstituer. N’ayant plus d’activités, les paysans et leurs
familles se retrouvent dans la misère. Ils viendront grossir le rang des
ouvriers en quête d’emploi chez les colons.
Ces
espaces fertiles qui nourrissaient plusieurs familles palestiniennes , sont
perdues pour leur propriétaires qui ne peuvent s’aventurer à replanter ou
reconstruire : l’armée est là veillant à conserver cette zone tampon
qui pourra servir à l’ extension future des 2 colonies .
Sur
le chemin, nous croisons des enfants de retour de l’école qui attendent
l’ouverture du poste de contrôle pour rejoindre leur village, distant
de plusieurs kilomètres. Kifah, une petite fille d’une dizaine d’années
nous apprend que certains jours il faut attendre plus d’une heure car ses
cours se terminent bien avant l’ouverture du barrage militaire et quand il
pleut il n’y a rien pour s’abriter.
Les entraves à la circulation et les destructions agricoles, nous en vérifierons
l’importance tout au long de notre séjour. Au nord comme au sud de gaza,
partout où les colons sont implantés , d’immenses espaces ont été saccagés
« par mesure de sécurité », prétexte pour créer un No man’s land
entre les colons et les villages palestiniens. A chaque rencontre de la
population , c’est le même cri de la part des femmes et des enfants «
Pourquoi nous prennent-ils nos terres, dites au monde entier ce que nous
endurons ».
Pour
nous rendre dans le Sud , nous longeons le littoral et regagnons la route
principale séparée en deux par un mur de béton : interdisant ainsi aux
palestiniens d’emprunter les voies réservées aux colons. Au carrefour, dès
qu’un israélien veut passer , le feu rouge se déclenche et les palestiniens
attendent ; notre bus en a fait l’expérience . Liberté totale d’aller
et venir pour les uns, restriction des déplacements pour les autres.
A
Al Qarara, village bien connu des amis de Palestine 33 et jumelé avec Saint
Pierre d’Aurillac , nous rendons visite aux agriculteurs qui s’y sont réfugiés
. Leurs maisons et leurs exploitations, trop proches du bloc des colonies du
littoral (Gush Katif) et de la route réservée aux colons, ont été détruites.
A 500m, on aperçoit un chantier en construction : un pont va relier 2 blocs de
colonies et concrétiser le découpage des territoires palestiniens en petites
zones toujours plus isolées (on a envie de parler de banthoustan).
Toujours
à Al Qarara où la famille KHASHAN nous héberge pour la nuit, nous faisons le
tour du village sous la pleine lune. On entend, pas très loin, le grondement
des chars qui circulent. Notre hôte, Ibrahim, coordinateur de l’UNWRA, nous
dit que le mois dernier les bombardements étaient si intenses que les gens,
sans possibilité de riposte, n’avaient pour seule alternative, que de se réfugier
dans les mosquées pour prier. Mais leurs ressources spirituelles et vitales ne
s’arrêtent pas là ; les projets sociaux et culturels se développent pour
garder encore le goût de vivre et surtout sortir de la tête des enfants la
violence dans laquelle les plongent, de force, les exactions israéliennes.
Dans
la nuit, les lumières des colonies, aussi illuminées que les villes de nos
contrées, nous permettent de mieux nous rendre compte de l’encerclement des
lieux de vie palestiniens plongés dans le noir. Il faut rappeler que l’eau et
l’électricité sous contrôle israélien, sont bradés aux colons alors que
les palestiniens en paient le prix fort.
Mais
l’injustice et l’horreur ne s’arrêtent pas là. Tout va crescendo à
mesure que nous avançons. Nous continuons notre route vers Khan
Younes qui est, avec Rafah, la ville la plus touchée par les bombardements israéliens
.Elle se trouve en bordure du plus grand bloc de colonies de la bande de Gaza,
près de la frontière égyptienne. Au bout de la ville , nous remontons la
large rue qui conduit vers la mer et au village de pêcheurs d’El
Mawassi, complètement enclavé dans l’immense bloc de colonies . Pour y accéder,
il faut bien sur franchir un poste de contrôle. Ici on ne voit pas les soldats
, ils sont retranchés dans des
sortes de bunkers munis de fentes en forme de meurtrière pour surveiller ce qui
se passe autour d’eux. C’est de là qu’ils lancent leurs ordres aux
palestiniens qui veulent passer. La rue que nous avons empruntée va nous
conduire, avant de parvenir au fameux poste de contrôle, vers une vision
cauchemardesque. Le même nom revient sur toutes les lèvres : «Beyrouth»
Voici quelques mois , cette partie de la ville a subi de très lourds
bombardements : plusieurs dizaines de maisons sont entièrement détruites. Les
immeubles qui tiennent encore debout sont calcinés et criblés d’impact
d’obus, il ne reste rien que des ouvertures béantes. Les survivants ont été
relogés sous les tentes des NU . Les habitants nous interpellent et nous
font part de leur souffrance. Un vieil homme nous dit qu’il veut juste revenir
à l’endroit où sa maison a été détruite mais qu’il n’ose pas
s’aventurer sur les ruines de peur d’ être pris pour cible par les soldats
qui veillent tout près. Une autre femme nous conduit dans la maison
qu’elle n’ose plus habiter car les tirs des israéliens se déclenchent dès
qu’elle monte sur sa terrasse pour étendre son linge.
Qui crée la violence ? qui sont les véritables terroristes ? quels
droits ont ces colons pour venir dépecer une terre qui ne leur appartient pas ?
Qui détient les bombes, les avions, les chars contre un peuple désarmé qui ne
demande qu’à vivre en paix sur son territoire ?
Quel peuple en occident accepterait ainsi de se faire piétiner sans riposter ?
Et
pourtant, à aucun moment, nous n’avons entendu de paroles de haine ou de
vengeance à l’encontre des israéliens, mais seulement que justice soit
faite, que le monde ouvre les yeux et fasse appliquer les résolutions de l’ONU.
Mutisme
des gouvernements occidentaux devant l’intransigeance des Etats-Unis et d’Israël,
dernier pays à maintenir un système colonial, seul pays au monde à qui l’on
ne dit rien lorsqu’il ne respecte pas le droit international.
Nous
sommes conscients que nous ne représentons pas une véritable force
d’interposition reconnue mais que la répétition de nos actions fera, à
terme, naître un mouvement d’opinion suffisamment fort pour que les israéliens
se soumettent à l’arbitrage du droit international.
A
l’image de la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud, les palestiniens
croient fortement que l’opinion internationale a la pouvoir de ramener les
israéliens à reconnaître leur droit à un Etat souverain.
Nous descendons vers le poste de contrôle pour rejoindre El Mawassi où nous
sommes attendus. notre mission n’aura pas l’autorisation de passer
mais nous aurons vu et entendu. D’abord cette voix sortie d’outre tombe qui
hurle, pire que cela qui éructe : « 5 par 5, avance, arrête, stop,
recule,» aux palestiniens qui attendent 50m plus haut le signal des soldats
pour regagner leur village. La mission , elle, décide de passer à 17. Nous négocions
notre passage , mais c’est un « non » catégorique. Nous assisterons , alors
à l’arrivée des colons armés qui viennent chercher leurs ouvriers
palestiniens et font eux-mêmes le contrôle des papiers à la place des
soldats. Les insultes fusent : Chirac, Arafat, Hithler, Heitchman dans le même
panier, quant à nous, nous sommes traités de nazis, et sommes
accusés de refuser la présence des juifs dans notre pays . Les pourparlers
dureront 1 heure et demie, en vain , la liberté de circulation restreinte
pour les palestiniens nous est aussi refusée. Nous rebroussons chemin et
même si les palestiniens qui attendaient ont perdu 1 heure ½, ils nous
accueillent chaleureusement et nous remercient d’avoir résisté
symboliquement.
Ce furent les mêmes remerciements partout où nous sommes passés et je
voudrais avant de terminer , évoquer , non plus à Gaza mais en Cisjordanie, la
plantation des oliviers dans le petit village d’Aboud, près de Ramallah.
Comme tous les villages palestiniens, le chemin qui mène à Aboud est coupé de
la route principale par un immense monticule de terre. Les villageois ont
interdiction de le franchir pour accéder à leur champs. Ces champs sur
lesquels gisent les squelettes des oliviers arrachés par les colons. Notre
action ce jour là consistait à permettre aux paysans de replanter 150
oliviers. Nous les aidons dans cette tâche sous le passage incessant et la
surveillance d’un char et de la police israélienne qui, ayant reconnu nos
T-Shirts ne s’interposent pas. Mais les palestiniens ne sont pas dupes et
savent très bien que dans la nuit ou dans quelques jours , les colons
reviendront arracher les jeunes pousses. Haine et violence gratuite contre une
petite communauté de villageois qui n’a pas grand chose à voir avec le
terrorisme mais tente de résister comme elle le peut à l’occupation.
Pour
nous remercier le cheikh du village et le curé nous invitent tour à tour à déjeuner
et à prendre le café. Le prêtre nous explique comment les 3 communautés, chrétienne,
musulmane et copte cohabitent en paix et partagent les mêmes joies au cours des
différentes fêtes religieuses. Nous les quittons en leur promettant, là
aussi, de raconter ce que nous avons vu ; ils regrettent de nous voir
partir estimant que pour bien faire, notre présence serait nécessaire sur
plusieurs jours
.
Ce qui vient d’être rapporté n’est pas grand chose par rapport à tout ce
qui se passe. Les Missions de protection du peuple palestinien ont 3 objectifs :
1 : manifester notre solidarité et protéger, avec nos petits moyens, les palestiniens lorsque des situations injustes se présentent.
2 : Observer pour témoigner . Cela nous l’avons fait .
Le troisième objectif , se fera dans nos pays européens avec tous ceux qui combattent pour la justice et la liberté : faire pression sur nos gouvernements par de multiples actions pour qu’une force de protection soit déployée comme cela s’est fait pour d’autres pays en conflit ; et exiger que les résolutions de l’ONU soient appliquées.
Laurence
« Nous
sommes captifs dans une cage, les mains liées et le regard limité. C’est à
vous, maintenant de porter notre parole. C'est à vous de dire au monde libre
nos souffrances et notre révolte ».
Nous comprenons dès lors pourquoi nous sommes là et à quoi nous pouvons nous
rendre utiles.
Certes, nous n’avons pas empêché les répliques démesurées de l’armée
sioniste lors de la manifestation du 23 décembre à Ramallah ; certes, nous étions
inutiles aux 3 blessés des affrontements, incapables de juguler la colère de
ces quasi enfants face à l'occupant qui piétine avec arrogance leur terre,
incapables d'incarner véritablement une force d¹interposition civile et
pacifique, désarmés face à l'asymétrie de ce combat, nous pouvons cependant
témoigner de l'iniquité de la situation.
Par exemple, ce jeune franco-palestinien, l'épaule luxée par une balle enrobée de caoutchouc, pour avoir tenté de rejeter une bombe lacrymogène, il ne sera pas mort puisque que sans doute notre présence aura empêché les soldats de tirer à balles réelles. Ou les habitants de Aboud encerclés, enclavés dans leur propre terre et privés de leur source d¹eau qui assistent, impuissants, à la spoliation de leur terres
Comment peut-on accepter de voir ces oliveraies saccagées par des blindés ?
Comment peut-on rester calmes et modérés quand on assiste à l¹édification de colonies toujours plus grandes, toujours plus audacieuses ?
Une force civile d¹interposition pacifique, nous l¹aurons compris, reste utopique. Seul le pouvoir d¹une résistance pacifique « La Campagne Civile Internationale de Protection du Peuple Palestinien » semble pouvoir répondre à l'espoir de ce peuple frère. Car les palestiniens restent pieds et mains liés et connaissent encore le joug du colonisateur et du destructeur sous l'indifférence générale de nos nations.
Entre espoir et incrédulité, des enfants replantent des oliviers, avec application et ferveur. Leurs parents savent que ce n'est qu'atermoiement, mais par conviction, s'acharnent à croire encore en ce symbole, sous le regard narquois des occupants armés.
Entre résolution et révolte, des personnes se retrouvent autour d'un sapin de Noël, un sapin sans racine mais orné des couleurs de la Palestine. Épineuse situation, ou l'on scande à la face des soldats de la terreur ce que les habitants sont empêchés d’hurler :
« Sharon assassin, tu as du sang sur les mains ».
Jusqu’où peut-on aller pour respecter ces engagements pris à distance et libérer
cette révolte de tous les matins ? Passer à l’acte et constater que la résistance
n’est pas un vain mot ! Voir des visages accueillants, sentir la fusion des
rencontres, constater la simplicité d'une accolade et croire en ces moments de
fraternité.
Certes
les gouvernements nous mentent. Certes les politiques nous bernent. Certes les
instances internationales ne sont que duperie. Nous
le savions, mais c’est la force tranquille des peuples en marche que
nous découvrons là. C’est la puissance des mouvements citoyens qui se dévoilent
à nous, avec cette conscience d¹une alternative possible et à réinventer.
Toutes ces personnes rencontrées, autant de nationalités, autant de croyances
font le pari de l’intelligence et jettent les bases d¹une solidarité active.
Nous
ne refusons pas de palier aux lacunes des politiques puisque notre présence
dimanche soir auprès du Président Yasser Arafat dépasse la portée symbolique
et la nécessité d¹un témoignage :il y a bien un oppresseur et un opprimé.
Mounir KECHICH –Bordeaux- 25
décembre 2001 Bethléhem