10è Mission civile de protection du Peuple palestinien

   du 3 au 13 mars 2002 – organisée par le « Comité Palestine 33 »

 

L'apartheid est perceptible dès l'arrivée à l'aéroport (de longues files au guichet de la police et de la douane, suivant la catégorie de passagers).

Nous sommes dix bordelaises, une marseillaise et un bordelais - notre traducteur. Pour aller à Jérusalem, nous montons dans un car palestinien à plaque jaune et prenons une route dont la ligne jaune indique qu'elle est réservée aux palestiniens. Nous surplombons l'autoroute ultra-moderne que seuls les Israéliens ont le droit d'emprunter.

Impossible d'ignorer les colonies ; leurs bâtiments imposants, flambant neufs, occupent le sommet des collines telles des forteresses.

Dans ce lumineux paysage méditerranéen, nous voyons des tanks, des installations militaires, des maisons vidées de leurs occupants et transformées en miradors.

Au cours de notre première sortie dans Jérusalem-est, nous évitons de regarder les patrouilles de soldats israéliens, ou les miliciens armés, revêtus de double gilet pare balles. En plein cœur de la vieille ville palestinienne, Sharon a acheté une des plus belles maisons - le drapeau israélien se déploie sur sa façade comme une provocation. Et Nous n'avons pas encore vu le pire… Les barrages qui paralysent la vie de tous les Palestiniens : 4 membres de notre groupe mettront  une journée entière, de 9h à 19 h, pour aller à Al Qarara distant de 9 kms de Deir Al Balah où nous avons passé la nuit .

Au barrage de Qalandia à la sortie de Ramallah, nous devons passer un par un, montrer nos passeports à de jeunes soldats armés de mitraillette, l'atmosphère est plus que lourde.

Le 4 mars, Leïla Abu Qeiq et ses trois jeunes enfants sont tués à Ramallah dans  leur voiture qui avait été ciblée par un hélicoptère israélien.

Le 5, nous nous joignons à la population de Ramallah pour assister aux funérailles. Une femme en larmes nous a remis les livres et les cahiers des enfants, tachés de sang et criblés de balles. Au cimetière, les tombes fraîches se touchent, portant l'inscription "Shahid" (martyr). Une colonie surplombe le cimetière. Les colons peuvent suivre la scène en direct. Les leaders et responsables palestiniens sont présents.

Les enfants paient un très lourd tribut à l'occupant. Nous avons vu à Gaza des éclats de bombes dans un jardin d'enfants ; une école primaire, un centre pour aveugles en partie détruits. Les enfants souffrent d'énurésie, d'hallucinations, de cauchemars, ils perdent leur motivation pour l'école. Leurs familles ne peuvent pas toujours les aider, car elles sont elles-mêmes soumises à un stress permanent. Pourtant ils sont bien tenus, ne mendient pas, ne sont pas délinquants, les adultes y veillent.

Nous avons réussi à entrer dans la bande de Gaza et nous avons été accueillis dans des camps : Jabalyia, Shatti, Nusseyrat… Dans ces camps qui existent depuis 50 ans, les conditions de vie sont extrêmement difficiles et précaires. De plus, ils sont la cible de bombardements fréquents, les soldats y entrent quand ils veulent.

Le matin du 8 mars, notre chauffeur vient nous chercher les larmes aux yeux, un de ses amis a été tué cette nuit. 16  tués dont 11 civils pour cette seule nuit du 8 mars dans le village de Ikhza, proche de Khan Younis. Ainsi fut célébrée la journée internationale des femmes à Gaza., sous la menace des bombardements.

Dans les camps non loin de la mer, une des techniques de l'armée israélienne consiste à pénétrer dans le camp, à faire sortir les gens de chez eux pour tuer alors, depuis la mer, ceux qu'ils peuvent atteindre.

Ce pays n'a pas d'économie propre ; ils doivent tout acheter aux israéliens, produits et services. Au village de Jiftlek et Abu Lajaj 40 familles ont été expulsées. Un des fellahs avait une maison avec un puits, on les lui a confisqués. On lui a pris 40 hectares de sa terre, il lui en reste 20 dont 10 qu'il ne peut cultiver à cause des interdictions de déplacement. Il vit là avec ses 7 frères (dont 4 sont mariés) dans des baraques puisqu' interdiction leur est faite de construire en dur.

Ils produisent plus qu'ils ne consomment mais ils n'ont pas la possibilité de vendre le surplus ne pouvant accéder à Naplouse, le marché le plus proche. L'armée vient souvent dans le village où elle fait ce qu'elle veut. S'il y a une urgence médicale, elle empêche l'ambulance de passer. Tout échange économique est rendu difficile, voire impossible aux palestiniens ; leurs productions arrivent en Europe sous l'étiquette Made in Israël.

Pour résister et survivre avec dignité, le peuple palestinien s'est organisé :

* L'U.P.M.R.C, union des comités palestiniens d'entraide médicale. Elle a réparti sur tout le territoire des centres de soins ; nous avons vu 2 de ces centres. Les médecins et travailleuses de la santé y reçoivent les malades ou se déplacent jusqu'à leur domicile quand il y a urgence. Une participation, même minime est demandée aux malades. Le personnel soignant forme aux premiers secours. Ils assurent dans le primaire et le secondaire une formation à l'hygiène et à la propreté de l'environnement immédiat. Ils ont des programmes gratuits pour les femmes enceintes, la néo-natalité, les diabétiques… les enfants font l'objet d'une attention particulière.

A Gaza, l'UPMRC gère un centre de santé mentale dirigé par un médecin palestinien. Le médecin qui nous reçoit a comme préoccupation première de soigner les enfants atteints de troubles consécutifs à la guerre. Il manque de pédo-psychiatres, et travaille avec les moyens du bord. A cause de la durée et de l'amplification de la guerre, le travail est toujours à recommencer.

C'est aussi à Gaza que nous rencontrons une équipe qui a créé pour les enfants une thérapie de groupe : la drama-thérapie. Des acteurs travaillent avec les enfants autour de la relaxation, la concentration, la mise en confiance, l'expression…; ils reçoivent les mères avant et après la thérapie. Celles ci leur rapportent les améliorations qu'elles ont remarquées dans le comportement de leurs enfants. Les résultats sont étonnants.

A Al Qarara, une équipe locale tentera une expérience analogue avec ses propres moyens : musique et danse ; comme toujours, chaque communauté doit inventer ses propres démarches puisque les interdictions de se déplacer rendent impossible la communication.

* Le P.A.R.C, comité palestinien d'entraide agricole. Il s'occupe des questions économiques et en particulier des questions agricoles, organisation rurale, irrigation…. Il assure la redistributions aux plus pauvres des aides apportées par les organisations étrangères. Malgré l'asphyxie de l'économie par les israéliens, il essaie avec des très grosses difficultés d'exporter les productions palestiniennes essentiellement vers l'Italie, la Belgique, l'Allemagne. Ces exportations ont rapporté, en 2001, 140.000 dollars et ont permis de créer 190 emplois pour des femmes des villages

Une travailleuse sociale du PARC nous a décrit la misère des familles qu'elle visite.

*.L'U.G.F.P. Nous rendons visite à l'union générale des femmes palestiniennes. Ces femmes nous reçoivent avec gravité et sérénité. Elles ont tiré les leçons de la 1ère intifada, leur priorité actuelle est d'assurer la scolarité des enfants en dépit des difficultés liées au blocus et à la guerre. Elles s'efforcent d'associer les femmes à toutes les décisions et de les former ainsi à l'exercice de la démocratie.

*.Le P.G.F.T.U, union générale des syndicats de travailleurs palestiniens. A Gaza, le responsable nous fait visiter son local avec fierté : tout est organisé pour le fonctionnement normal d'une fédération syndicale. Les documents qu'ils nous remettent contiennent des études très précises et bien documentées quant aux répercussions du blocus qu'impose Israël aux travailleurs palestiniens. Le chômage est passé, en un an, à Gaza, de 11% à 70% et le pourcentage de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté de 32% à 80%.

Dans ces conditions, le syndicat ne peut plus jouer son rôle et a donc réorienté ses efforts. Comme tous les responsables palestiniens, ils craignent l'inaction à laquelle le chômage condamne les travailleurs ; ils s'efforcent donc de leur créer des activités même non lucratives : poterie, peintures avec toutes sortes de techniques…Le 1er étage du local est devenu un musée du travail et des travailleurs. Les activités proposées permettent à ces hommes de recevoir dignement les secours matériels que le syndicat essaie de leur procurer. Car actuellement la grande préoccupation du syndicat comme de toutes les organisations est de loger, nourrir, vêtir.

Dans cet immense effort pour résister, les Palestiniens sont soutenus par quelques courageuses organisations israéliennes.

Le mardi 12 mars, nous sommes reçus dans les bureaux de Michel Warschawski.

Judith nous accueille, elle est membre de l'association israélienne "Women for Human Rights". Chaque jour, à l'heure où les travailleurs palestiniens passent les barrages militaires, elles se rendent , par petits groupes sur ces barrages et tentent, par leur présence, d'obliger les soldats qui pourraient être leurs fils à être un peu moins inhumains.

Ensuite, Michel Warschawski prend la parole. Il dénonce avec lucidité la politique de Sharon et la déshumanisation de l'armée : les soldats finissent par oublier qu'ils ont en face d'eux des êtres humains et ce sont des abstractions qu'ils tourmentent et torturent. Certains officiers commencent pourtant à prendre conscience du rôle dégradant qu'on leur fait jouer. Sharon a réussi à fabriquer de la haine qui n'existait pas à l'époque de la 1ère intifada.

Michel Warschawski encourage fortement les missions civiles.

Juste avant de quitter Gaza, nous rencontrons Radji Sourani, président de la ligue palestinienne des droits de l'homme. Il est fatigué et tendu : on vient de détruire le palais présidentiel où Yasser Arafat recevait ses hôtes étrangers. On a , à nouveau, bombardé les bâtiments de la Sécurité, de la Sûreté et des renseignements palestiniens déjà bombardés plus de vingt fois. Il nous précise qu'autour de ces bâtiments, bien sûr, il y a des maisons d'habitation Toutefois, selon lui, les soldats israéliens commencent à avoir honte de tirer sur les civils, en particulier les enfants,(30% des victimes civiles), honte aussi d'encercler et d'affamer tout un peuple.

Aucun des avocats des «  droits de l'homme » n'entre dans les prisons, ils sont obligés de faire appel à des avocats indépendants. Depuis 25 ans, Radji Sourani dialogue avec les organisations israéliennes pour la paix mais depuis le cantonnement des palestiniens dans leurs territoires, ils ne peuvent plus se rencontrer. Cependant, ils continuent à communiquer par fax ou internet.

« Le peuple palestinien, nous dit-il, ne compte que sur lui même et sur la société civile des pays étrangers qui envoient des missions civiles. » … et encore :  "La résistance, c'est un droit , un devoir pour tout individu épris de liberté"  

Ajoutons un mot sur sœur Myriam rencontrée à Saint Pierre de Gallicante. Elle nous parle

-         d'un centre de rapprochement entre les peuples créé par un palestinien.

-         d'une association "lumière pour les nations" créée et animée par un américain, Jonathan Miles. Grâce à cette association, des enfants palestiniens de la bande de Gaza sont soignés dans des hôpitaux israéliens où ils sont traités sans aucune discrimination.

d'une femme en noir, Anne Lemaignen, qui s'occupe de ce village, Neve Shalom, où vivent ensemble des familles israéliennes et des familles palestiniennes.