31ème mission en Palestine (3-15 octobre 2002) :

carnet de bord de Sophie.

Vendredi 4 octobre, Jérusalem


Arrivée hier à l'aéroport de Tel Aviv, une heure d'interrogatoire et de vérification des bagages. Trois de mes coéquipiers étaient dans le même avion, on a compris lors de l'interrogatoire qu'on venait pour la même chose... Ils ont eu l'air de penser que nous étions vraiment des touristes (ou bien ils ne sont pas dupes ?) car nous sommes finalement passés. Dans la soirée, ballade dans Jérusalem ; dès huit heures du soir, il n’y a plus personne dans les rues, les magasins sont fermés. Pas beaucoup de tourisme, c'est sûr ! Nous sommes 6 internationaux. Nadia est assistante commerciale, Hind travaille dans le journalisme, Laurent est documentaliste, Lili est une ancienne couturière à la retraite et Laurent dirige un centre social.

 Ce matin, visite au consulat français, histoire de laisser une trace de notre visite ici. Des membres des missions civiles ont encore été arrêtés et expulsés il y a quelques semaines. Comme m'a dit une femme de la CCIPPP, ça peut être aussi une expérience de se retrouver quelques jours dans une prison israélienne, je pense à tous les ex-détenus que j'ai côtoyés pendant un an au Liban… 

Dimanche 6 octobre, Naplouse


Nous sommes depuis vendredi après-midi à Naplouse, 60 kms au nord de Jérusalem. La ville de Naplouse est entourée de trois camps palestiniens; le couvre-feu est instauré depuis 108 jours maintenant, ce qui veut dire que les gens sont supposés ne pas sortir du tout de chez eux, ne pas circuler, ne pas travailler, ne pas aller à l'école... Néanmoins, Naplouse est connue pour sa résistance à l'occupation arbitraire à l'armée israélienne. Alors les gens décident quand même de sortir, de continuer à avoir un semblant de vie. Des chars israéliens circulent dans la ville toute la journée.

Hier matin et ce matin, nous sommes allés dans trois écoles situées au sud de la ville, les unes à côté des autres. Les élèves n'osent pas rentrer dans l'établissement car, de temps en temps, les soldats israéliens tirent sur le bâtiment, ou envoient des bombes lacrymogènes dans les classes. Les professeurs ne sont pas tous là, la plupart habitent de l'autre côté de la ville et les check-points les empêchent de venir. Hier, néanmoins, ils étaient une dizaine dans l'école des garçons. Juste au moment ou les élèves auraient pu se décider à entrer dans l'école, les chars israéliens ont tiré sur le mur de devant. Avec Nadia, nous nous sommes retrouvées coincées avec
les professeurs dans l'école ; un peu plus tard, nous avons pu entrer dans l'école des filles. C'était la fin des cours mais elles n'osaient pas sortir car les soldats bloquaient l'entrée principale. Nous nous sommes avancés, d'autres internationaux nous ont rejoint ; nous nous sommes postés devant les chars, les enfants ont pu passer et rentrer chez eux. Ce matin, même histoire... Les chars étaient devant l'école dès 5 heures du matin. La plupart des enfants sont rentrés chez eux ; dans l'école des filles, la directrice tenait à faire la classe quand même. Les filles ne voulaient pas rentrer dans l'école, nous les avons rassuré en leur disant que nous restions postés ; finalement, la classe a eu lieu.

Hier, plus tard dans la matinée, nous avons suivi deux chars israéliens dans une partie de la ville ; ils font des rondes  et empêchent les gens de circuler, prétextant le couvre-feu. Soudain, ils ont arrêté 6 hommes ; nous nous sommes approchés des soldats et leur avons demandé pourquoi ils les avaient arrêté ; ils nous ont répondu qu'ils recherchaient des palestiniens (le matin même, 2 soldats israéliens avaient été tués) ; ils ont pris aux hommes leur carte d'identité et les clés de leur voiture, trois heures plus tard ils ne leur avaient toujours pas rendu et ils continuaient à patrouiller dans la ville pendant que les hommes attendaient assis. Un nous a dit qu'ils lui avaient déjà déchiré une fois son laisser-passer...
La journée d'hier a été assez tendue ; les chars ont beaucoup patrouillé et tiré, sur des gens, sur des bâtiments. On nous a dit qu'un enfant avait été tué (deux jours avant, ce sont deux autres enfants qui sont morts). Hier après-midi, nous avons dégagé une route ; les israéliens l'avaient bloquée avec des bulldozers, formant un monticule de terre et de pierres infranchissable. Nous avons déblayé sous leurs yeux, aidés par les enfants palestiniens. Cela devrait permettre aux ambulances d'aller plus vite, la route étant une voie d’accès importante. L'ambiance est très curieuse ; la ville même de Naplouse est comme une ville fantôme; tout est fermé, les voies d'accès sont bloquées, les bâtiments éventrés par les tirs. Dans les camps au contraire, la vie est là…
 

Mardi 8 octobre, Naplouse

 
Voila quatre jours que nous sommes à Naplouse ; hier, levée du couvre-feu sur la partie sud de la ville, alors que la vieille ville et le centre administratif restent bloqués. Situation étrange qui fait que certains habitants de Naplouse ont le droit de se déplacer mais ils restent limités dans leurs activités puisqu'ils ne peuvent pas traverser la ville. Néanmoins, cela fait plaisir de voir les grandes artères animées et des gens circuler "presque" normalement : les chars sont quand même présents aux carrefours. Hier matin, nous sommes arrives à 6h30 devant trois écoles du quartier sud ; un tank était posté un peu plus bas, nous étions au carrefour principal et devant les écoles, les enfants sont arrivés par petits groupes et sont rentrés tranquillement en cours ; presque tous les professeurs étaient présents. Cela faisait vraiment plaisir de les voir étudier normalement... En effet, si les enfants viennent tous les jours à l'école, ils n'ont pu suivre véritablement les cours que cinq fois ces trois derniers mois ! Les soldats israéliens font régner la terreur, ils empêchent les élèves et les professeurs de rentrer dans l'école, ou bien d'en ressortir après les cours. Notre présence a deux sens : rassurer enfants et professeurs (les soldats ne prennent généralement pas le risque de tirer sur les internationaux) et essayer de tempérer les soldats. Nous nous postons en général à la fois à côté des tanks pour pouvoir éventuellement engager une discussion, et entre les chars et les enfants pour assurer une protection. Ce matin, par contre, ça n'a pas aussi bien fonctionné ; quand nous sommes arrivés, un tank bloquait la voie d'accès principale aux écoles, les enfants et les professeurs étaient refoulés dans une petite ruelle par derrière, mais une jeep de l'armée tournait sans cesse dans le périmètre, ce qui effrayait certains enfants et en excitaient d'autres qui jetaient des pierres contre la voiture et contre le char. La tension est montée jusqu'à ce que le char se mette à tirer sur la foule (enfants et professeurs) ; nous étions parmi eux, mais cela ne les a pas empêché de tirer, en l'air et au sol. Un enfant d'environ 10 ans a été blessé d'une balle dans l'estomac. Nous n'en savons pas plus pour l'instant, mais il y a deux jours, un autre enfant avait reçu au même endroit une balle dans la jambe. Sur le chemin du retour, nous avons croisé la jeep de l'armée postée à un autre check-point ; nous avons eu une petite discussion avec un des officiers déjà croisés hier. Il était furieux contre nous, nous accusant de permettre aux enfants de jeter des pierres en les couvrant par notre présence.
Nous avons vraiment l'impression qu'il y a une volonté délibérée du gouvernement israélien d'empêcher les enfants palestiniens d'être scolarisés et d'étudier normalement. Aujourd'hui, les enfants sont complètement désœuvrés, cela ne fait qu'augmenter leur agressivité, ils n'hésitent pas à se poster devant les chars et à lancer toute sorte de projectiles ; ils prennent des risques énormes. Pour revenir à la journée d'hier, malgré la levée du couvre-feu dans la partie sud, les chars et les jeeps de l'armée sillonnaient la ville. Les bulldozers étaient là aussi ; ils ont saccagé plusieurs routes importantes du centre ville, brisé des canalisations d'eau, déraciné des arbres, retourné l'asphalte. Les destructions étaient plus importantes que d'habitude. Ces  actions sont destinées à limiter  la circulation et le déplacement des populations, mais aussi à saper le moral des habitants. Une femme qui n'était presque pas sorti depuis plusieurs semaines était sous le choc devant ce paysage de désolation... Deux jours auparavant, nous avions commencé avec d'autres internationaux à dégager une des routes importantes de la ville, notamment pour permettre aux ambulances de circuler plus rapidement ; hier, elle était de nouveau impraticable…


La ville de Naplouse est barrée par de nombreux check-points aux carrefours les plus stratégiques. Les soldats contrôlent les déplacements et régulièrement, de manière totalement arbitraire, ils arrêtent des gens sous prétexte de contrôle d'identité. En marchant dans la ville, nous avons vu à plusieurs reprises des soldats procéder à ces contrôles. Dans ce cas, nous nous avançons et essayons d'engager le dialogue avec eux. Lorsque les personnes arrêtées restent en plein soleil, les mains sur la tête, nous demandons aux soldats la permission de les laisser s'asseoir à l'ombre et de boire ; jusqu'à présent, ils acceptent. Cela nous permet ensuite de poser d'autres questions, parfois gênantes pour eux ; nous essayons de leur faire mesurer le côté absurde de cette situation, sans succès le plus souvent.
Nous essayons aussi de rester le temps qu'ils contrôlent les papiers, cela peut durer une demi-heure, ou plusieurs heures... Cette situation est particulièrement humiliante pour les palestiniens ; les soldats leur prennent leurs papiers d'identité, les obligent a attendre (ils ne sont même pas surs de les récupérer à la fin de la journée), prennent les clés de leur véhicule et partent le plus souvent sans les leur rendre. Hier, un chauffeur de taxi arrêté leur a donné une fausse clé et est reparti dès que les soldats ont eu le dos tourné, c'est devenu un sujet de plaisanterie chez les palestiniens, quelqu'un disait même qu'il ne fallait jamais se déplacer sans une fausse clé !
Hier encore, nous sommes allés dans deux maisons réquisitionnées et occupées par l'armée. Dans l'une de ces maisons, les habitants ont été parqués dans deux pièces au rez-de-chaussée, encore en travaux; ils vivent à 9 dans ces 2 pièces, les soldats occupant le reste de la maison. Ils sont en fait prisonniers de leur propre demeure, ne pouvant même plus sortir ; un des enfants s'était brûlé au visage avec de l'eau bouillante ; les parents n'ont pas pu l'emmener chez un médecin et les soldats ont refusé jusqu'à maintenant qu'un médecin vienne le soigner sur place. Un photographe nous accompagnait, il a commencé à prendre des photos, le responsable militaire présent l'a menacé, d'abord de lui prendre son appareil puis, le ton montant, de tirer sur lui. Il a aussi menacé les internationaux présents ; nous avons cependant obtenu que le médecin puisse venir dans les prochains jours.

Dans l'autre maison, la famille a été chassée depuis vendredi dernier ; les soldats sont arrivés vers midi, ils ont obligé les habitants à monter tous les meubles sur le toit ; la famille n'a pu prendre que quelques habits. Nous avons essayé de discuter avec les trois soldats présents dans la maison, ils n'avaient pas grand-chose à dire si ce n'est que l'occupation, selon eux, serait provisoire... En interrogeant les voisins, nous avons pu découvrir où s'était réfugié la famille, chez des cousins dans le centre ville; nous sommes allés la voir ; elle nous a dit que les soldats avaient promis de leur restituer la maison samedi prochain (12 octobre) ; nous avons proposé de l'accompagner le lendemain prendre quelques affaires et en profiter pour faire une manifestation avec tous les internationaux devant la maison ; jusqu'à maintenant, ils ne sont pas très chauds et préfèrent attendre samedi ; par contre, ils souhaitent que nous les accompagnions.


Il y a une quinzaine d'internationaux à Naplouse, de différentes nationalités. Nous nous réunissons presque chaque jour pour coordonner les actions dans la ville. Ce matin, durant la réunion, nous avons tous constaté qu'il y avait depuis quelques jours une agressivité croissante de la part des soldats envers les internationaux. Notre présence les agace vraiment et les discussions avec eux sont de plus en plus tendues. Toutes ces émotions sont parfois lourdes à gérer pour nous. Nous sommes à la fois témoins et acteurs de conflits permanents et nous mêmes sommes parfois partagés quant à la position à adopter. Ceci dit, nous restons déterminés dans notre action... Nous quitterons probablement Naplouse demain.

Vendredi 11 octobre, région de Tulkarem et Qualquilya


Départ de Naplouse mercredi midi, nous allons dans la région de Tulkarem et Qualquilya. Toutes les routes de Naplouse ont été bloquées par les israéliens et, quand ce n'est pas le cas, les barrages empêchent les palestiniens de passer. Nous sommes obligés de rouler à travers des champs d'oliviers, c'est plein de cailloux et de poussière ; le trajet, de 40 kms, qui prend d'habitude 1/2 heure, nous prend deux bonnes heures. Quelle situation humiliante pour la population palestinienne ! Les israéliens sont en train de détruire toutes les infrastructures palestiniennes ; les grandes routes sont retournées, les bâtiments officiels détruits (nous passons à Naplouse devant la Moquata rasée elle aussi, comme celle de Ramallah), les canalisations arrachées…

Les israéliens sont en train de construire un mur en Cisjordanie, entre Jénine au nord et Hébron au sud. Pour eux, c'est une question de sécurité ; en réalité, ils sont en train de s'accaparer petit à petit les territoires palestiniens. Ils ont commence par la région de Tulkarem et Qualquilya car c'est une des plus fertiles du pays, plus d'un tiers de la production agricole palestinienne vient de là. En arrivant près de Qualquilya, nous voyons les bulldozers israéliens à l'œuvre, en train de délimiter le tracé du futur mur…

Nous voyageons en compagnie d'un représentant du PARC (Palestinian Agricultural Relief Committee) ; nous passons dans de nombreux villages palestiniens, tous entourés de colonies. Elles encerclent les villages ; les israéliens ont construit des routes qui vont vers des colonies vers Israël ; les palestiniens n'ont pas le droit de les emprunter, ils en sont réduits à construire leurs propres routes, enfin plutôt des chemins à travers champs... La région est complètement morcelée, un vrai gruyère. Il s'agit en fait de pourrir la vie des palestiniens, les villages sont encerclés, les gens mettent 10 fois plus de temps en temps pour aller travailler.


Nous visitons des serres de légumes et de fruits, l'endroit est fertile, bien irrigué. Des colonies entourent le périmètre; des soldats sont venus récemment faire des marques sur les serres. Ils ont dit aux fermiers que le mur passerait par là et qu'ils n'avaient plus qu'à partir ! Ils leur ont même proposé de l'argent mais aucun n'a accepté. Ils n'ont aucune envie de quitter leurs terres, ils ne veulent pas non plus rentrer dans le jeu des israéliens. Certains sont pourtant obligés ; un fermier a été forcé de signer un papier disant qu'il cédait ses terres à Israël ! Il y a bien d'autres moyens de pourrir la vie des fermiers : les israéliens bloquent les importations d'engrais, ainsi les fruits et légumes pourrissent plus vite et sont vendus moins chers, donc moins de plus-value pour les
fermiers.

Dans plusieurs villages, les paysans ont commencé la récolte des olives. Normalement, la récolte commence le 15 octobre, mais certains préfèrent commencer plus tôt pour déjouer l'attention des colons, qui n'hésitent pas à tirer sur les récoltants…

Chez un autre fermier, les bulldozers sont déjà passés et ont rasé un champ de concombres. Ils ont propose jusqu'a 40.000 US$ pour racheter toutes ses serres. Le fermier a refusé, il dit qu'il ne bougera pas de l'endroit, mais je doute que cela fasse reculer les bulldozers…

Sur le chemin du retour, nous passons par Ramallah ; aujourd'hui, le couvre-feu est levé jusqu'a 18h00... Nous arrivons en compagnie d'une autre membre du PARC ; elle n'a pas ses papiers d'identité (l'autorisant à circuler sur le territoire palestinien !), nous passons donc là encore par des chemins détournés pour entrer dans Ramallah. Une heure de trajet pour quelques kilomètres, il faut changer trois fois de taxi, les israéliens tirent régulièrement sur eux... Imaginez ceux qui tous les jours doivent sortir de la ville pour aller travailler.

Promenade dans Ramallah et passage oblige devant la Moquata complètement rasée, un vrai champ de ruines duquel ne s'élève plus qu'un seul bâtiment intact ! Les palestiniens reconstruisent déjà le bâtiment principal où ont lieu les rencontres officielles. Que reste-t-il de l'autorité palestinienne ? Pas grand-chose pour beaucoup de civils…

Samedi 12 octobre, Jérusalem

 Aujourd'hui a lieu une grande manifestation à Jérusalem, qui a été organisée par différentes ONG palestiniennes, des israéliens pacifistes, des internationaux…

C’est une manifestation pour la paix entre le peuple palestinien et les israéliens, contre l'occupation en Palestine et contre le barrage d'Abu Diss. Le barrage d'Abu Diss est un mur qui sépare Jérusalem d'Abu Diss et son agglomération. Et bien sûr, à la frontière, il y a un check-point.

Les soldats israéliens ont tout fait pour nous empêcher de manifester. Abu Diss était comme par hasard sous couvre feu aujourd'hui. Avant que nous  commencions, ils n'ont pas arrêté de circuler autour de nous en criant que nous étions sous couvre feu et qu'il fallait évacuer alors qu'ils savaient la manifestation était prévue. Dès le début du rassemblement, l'un des policiers se montra très agressif et se mit à bousculer les personnes qui souhaitaient lui parler. Au point d'en arrêter un qui fut relâché au bout de 15 min. Après quelques pas et quelques slogans pacifistes en hébreu, en arabe, en anglais et en français, la situation a subitement dégénéré suite à une altercation entre 1 soldat et 1 jeune. Après quelques coups, les policiers ont dispersé les manifestants en lançant des bombes lacrymogènes, malgré nos oignons protecteurs, il a été très difficile de respirer, tous étaient en larmes, toussaient, et certains ont eu des malaises et ont été évacués par les ambulances.

Au bout de 15 minutes, la manifestation a repris mais dans le sens inverse pour éviter tout contact violent avec les policiers qui ont suivi les manifestants jusqu'à leur dispersion totale. Des discours de paix ont été toutefois prononcés. Notre marche n'a pas pu atteindre le barrage d'Abu Diss qui était à 200 m de nous, mais le message a priori est passé en espérant que la presse présente sur place assure le relais médiatique.


Dimanche 13 octobre, Bethléem


Après la manifestation, nous partons à Bethléem, à une dizaine de Kms de Jérusalem ; nous passons deux check-points, dont un où nous sommes obligés de descendre du taxi, de marcher quelques dizaines de mètres, avec contrôle de militaires, et de reprendre un autre taxi pour la ville.

Arrivée au camp de Dehaishah, le plus grand de Bethléem, 10 000 personnes. Nous sommes reçus par Najib, le responsable d'une ONG palestinienne, le Popular Services Committee, qui travaille en collaboration avec l'UNWRA (office des Nations-unies pour les Palestiniens) ; l'association semble très active : club de jeunes, activités éducatives, loisirs... Najib est impliqué dans beaucoup d'autres activités et se démène pour trouver des fonds ; l'association essaie aussi de trouver du travail pour la population du camp ; en effet, depuis la 2ème Intifada, le taux de chômage est presque de 100 %, beaucoup de palestiniens travaillaient sur Jérusalem et ne peuvent maintenant plus s'y rendre. Du coup, des bâtiments détruits sont rénovés, ce qui permet d'employer de la main d'œuvre. Les gens sont embauchés par roulement, ce qui permet de faire vivre un plus grand nombre de personnes.
Dimanche matin, nous visitons un grand centre social qui, à peine terminé, a été complètement rasé par l'armée israélienne, en avril dernier ! Qu'à cela ne tienne, l'association a trouvé des soutiens financiers (UNDP, Italie...) et est en train de le reconstruire. Cela permet de faire travailler pendant quelques semaines près de 800 personnes. En face du centre, une colonie, de temps en temps les colons tirent sur le centre... Nous faisons le tour du camp, rencontrons plusieurs familles de martyrs, uniquement des gens qui sont morts tués par des soldats israéliens : dans les médias, on ne parle que des martyrs tués dans des attentats suicide mais pas de ceux qui meurent sous les balles…
Le camp a l'air bien tenu (comparé a ceux que j'ai pu voir au Liban !). Néanmoins, il y a une grande disparité dans les habitations, certaines familles ne vivent que dans une ou deux pièces à plusieurs. L'eau reste un problème: il y a plusieurs puits aux alentours du camp mais tous contrôlés par les israéliens ; l'eau est distribuée au compte-goutte, parfois elle est même coupée... C'est pourquoi les palestiniens ont tous des citernes sur leur toit. A noter que les israéliens leur font payer de lourdes taxes sur l’eau…

Bethléem est une ville autonome, le climat est donc un peu plus serein que dans les villes du nord. Néanmoins, elle est complètement cernée par des colonies. Comme partout dans les territoires, les routes principales sont pour les israéliens.
Dans l'après-midi, nous partons sur Hébron, dernière étape du voyage pour moi tout au moins car certains restent plus longtemps. 

Lundi 14 octobre, Hébron


Nous sommes arrivés dimanche soir à Hébron, accueillis par une association palestinienne qui détache des jeunes volontaires, palestiniens et étrangers, sur des projets de solidarité un peu partout dans les Territoires occupés.
La ville d'Hébron est séparée en deux: une partie de la ville (H1) est habitée par les palestiniens, environ 125 000 personnes soit 80% de la population palestinienne d'Hébron. L'autre partie (H2), c'est-à-dire la vieille ville, est habitée par les 20% restant soit 35 000 palestiniens ainsi que par 400 colons. La colonisation d'Hébron a commencé en 1980 ; depuis 1996, les deux parties sont coupées par une grande route utilisée uniquement par les israéliens. La vieille ville est complètement morcelée ; partout, de grands immeubles tout neufs pour les colons; ils occupent aussi de vieilles maisons prises aux palestiniens. Près de 1200 soldats sont la pour les protéger, mais les colons sont eux aussi tous armés... Des soldats sont postés sur les toits pour surveiller (ça leur permet aussi de pouvoir tirer sur les palestiniens plus facilement !), des rues sont totalement interdites aux palestiniens, partout des check-points, des patrouilles israéliennes circulent en permanence dans la vieille ville. Le but des israéliens est évidemment de récupérer toute la vieille ville, depuis 20 ans, ils font donc tout pour chasser les palestiniens qui y habitent encore. Chaque jour, ils arrêtent des commerçants, les gardent quelques jours en prison; ils font parfois irruption dans des magasins et saccagent la marchandise ; en juin dernier, ils ont détruit plusieurs maisons... Certains palestiniens, fatigués de ce harcèlement quotidien, préfèrent déménager dans l'autre partie d'Hébron ; d'autres continuent à résister mais pour combien de temps ?


Les colons de Hébron sont encore plus dangereux que les soldats ; ils sont réputés pour leurs positions extrémistes et leur idéologie radicale. Ils se considèrent comme des missionnaires, voire comme des élus : ils sont là pour protéger "leur terre" et en chasser les palestiniens. Ils n'hésitent pas à tuer... Pour ma part, j'étais moins rassurée que face aux chars à Naplouse. Ils se fichent des internationaux : nous sommes là pour protéger les palestiniens, donc nous sommes contre eux.


Lundi matin, nous retrouvons deux volontaires américaines du Christian Peacemaker Team (PCT). Leurs activités sont sensiblement les mêmes que celles de la CCIPPP. Avec elles, nous nous dirigeons vers une école de fille située juste en face d’un grand immeuble neuf habitée par des colons. En arrivant dans l'école, c'est le choc : les colons sont venus la veille au soir et ont tout saccagé : vitres brisées, partout sur les murs des graffitis ; sur le portail, des menaces en arabe du genre " partez si vous ne voulez pas qu'on vous chasse par la force...". Des soldats sont en bas de la rue et nous observent. Un colon est aussi en bas, il joue avec sa carabine, espérant peut-être nous impressionner. Les filles arrivent par petit groupe, elles sont obligées de passer par des sentiers détournés. La directrice préfère ne pas raconter ce qui s'est passé, ceci dit, elles le verront bien !
Laurent et Hind restent avec une des volontaires du CPT, afin de s'assurer que tout se passera bien.


Nous partons avec Nadia et l'autre volontaire vers des écoles situées de l'autre côté de la vieille ville. Le souk est presque vide ; en fait, cette partie est constamment sous couvre-feu ; les israéliens ont même décrété que certains magasins ne devaient pas ouvrir du tout ! Des grillages sont tendus dans les ruelles ; en-effet, les colons s'amusent à jeter des ordures sur la tête des palestiniens. Nous passons plusieurs check-points ; on sent du mépris chez les soldats, en particulier chez les femmes soldats. Arrivée aux écoles, aujourd'hui ils ont pu commencer sans problème, ce n'est pas tous les jours le cas…


Pour moi, c'est la dernière étape de mon séjour. Plus que partout ailleurs j'ai ressenti cette haine, cette violence des israéliens à l'égard des palestiniens ; Hébron est un exemple frappant de la ségrégation qui est imposée au peuple palestinien. Comme l'ont dit beaucoup d'entre eux au cours de mon séjour, même les animaux ne sont pas traités comme cela !

J'espère que ces récits auront servi à certains à mieux comprendre la réalité de ce qui se passe aujourd'hui dans les territoires occupés, à mieux comprendre aussi ce qu'est l'enfer quotidien des palestiniens. J'ai croisé hier un petit garçon qui faisait une crise de nerfs tellement il avait peur d'aller à l'école. Cette image restera gravée dans ma mémoire mais il ne faut pas attendre de voir pour agir.