la vie quotidienne à Al Qarara
Nous
arrivons sans difficultés à Al-Qarara : ce matin, le barrage est ouvert. Ce
village de 15.000 habitants serait encore situé au bord de la mer,
distante d’à peine deux kilomètres du centre , si une colonie ne s’était
implantée entre les deux en Février 1995.
Cette
colonie scinde le village en deux : les habitants ne peuvent communiquer
d’une partie à l’autre puisqu’ il leur est interdit de traverser la
colonie. Comme partout il y a une route pour les colons, interdite aux
Palestiniens. Et pourtant, depuis toujours, les Palestiniens sont chez eux,
sur leur terre ! Ce village quadrillé symbolise bien le sort fait à la
Palestine tout entière.
Les
nouvelles récentes ne sont pas bonnes. Les Israéliens ont fait irruption
dans le village et détruit deux maisons, une habitation proche d’un poste
de police israélien a été détruite parce qu’elle gênait la vue des
policiers (Au total, 100 maisons sur 2000 ont été démolies, un huitième de
la superficie du village a été rasé) . Les gens vivent sous la tente ou
chez des amis. Trois mille personnes sont sous couvre-feu de 6 heures du soir
à 6 heures du matin. Ils ont arrêté dix habitants, dont un aveugle, que
l’on n’a pas encore retrouvé. Nous voyons les traces du passage d’un
tank, qui a défoncé la route et déraciné un olivier. Dans ce village où
la nature est généreuse - tout y pousse - on vit dans la même angoisse que
les Français durant la deuxième guerre mondiale. Tous les matins on se
compte. On ne sait jamais ce qui va se passer. La nuit, les soldats israéliens
s’introduisent à pied dans le village. Ensuite entre un char. Les gens
sortent voir ce qui se passe, ignorant que les soldats sont déjà là :
c’est alors que les soldats tirent. Un homme a été écrasé par un char.
Ailleurs, un char est passé sur une ferme et sur tous les animaux qu’elle
contenait.
Les
familles ont peur d’envoyer leurs enfants à l’école. Chaque semaine, au
moins un jour de classe est perdu. Une nuit, un garçon est sorti. Sa mère a
été tuée en l’appelant de la fenêtre. Un autre enfant a été tué sur
la route. Une jeune fille a disparu depuis trois mois, personne ne sait ce
qu’elle est devenue. Ces enfants grandissent en n’ayant connu que la
guerre, ils souffrent évidemment
de problèmes psychologiques. Mais ils sont aussi atteints d’affections
particulières. Les tirs d’obus sont suivis d’émanations que les gens
aspirent et les grenades dégagent une odeur nouvelle. Les chômeurs sont de
plus en plus nombreux : un père de trois enfants ne peut aller cultiver sa
terre, trop proche de la « frontière » . Le village est encerclé,
toutes les « frontières » sont contrôlées, le travail est
subordonné aux permissions de passer, accordées au gré de l’ occupant.
Les femmes, maintenant plus nombreuses que les hommes, essaient de trouver des
activités lucratives pour faire vivre leur famille.
Pourtant
cette population résiste et survit, non par le système D, mais en bâtissant
des projets. « Nous ne partirons pas, derrière nous, il n¹y a que la
mer, on ne peut pas nous pousser plus loin ! » La priorité est de
donner un toit à ceux qui n’ont plus de maison, de nourrir et de vêtir
ceux que, délibérément, les occupants affament. C’est pour répondre –
en partie- à ces priorités que le
« Centre de la femme rurale de Al Qarara », est né avec la
participation de Palestine 33 qui
a payé le loyer de 1996 à 1999 et continue
de participer financièrement à
la marche du Centre. Celui-ci
assure une formation aux femmes, les informe sur leurs droits et
encourage leurs compétences : elles cousent, brodent, tricotent font des émaux,
s’initient aux différents procédés de conservation des aliments, ont un
salon de coiffure et s’initient à l’informatique.
Si elles ne n’ arrivent pas à vendre toutes
leurs réalisations, elles peuvent au moins vêtir leur famille. En
outre, dans ce « Centre », elles trouvent un lieu de parole, d’échanges
et de concertation oh combien nécessaires quand on subit une guerre.
Le
village est jumelé avec Saint-Pierre d¹Aurillac. Une association mixte
s’est créée et a élaboré un « Projet de renaissance de la
culture bédouine » . Le local existe déjà : il a été financé par
les dons de la population et construit avec la participation de volontaires.
Il abritera un musée ainsi qu’un centre d’apprentissage dans chaque
domaine. Au conseil de
direction, deux femmes et cinq hommes. Dans ce lieu, qui sera dédié à la mémoire
de la culture bédouine, des photographies garderont vivant le souvenir de
ceux qui se sont dévoués pour le village : tel qui, il y a cinquante ans, a
ouvert une classe, ou un autre qui a creusé un puits et donné de l’eau
sans contrepartie. C’est déjà une action éducative. Mais avant de réaliser
ce projet culturel, il faut parer au plus urgent. En effet, ceux dont les
maisons sont détruites ne sont pas autorisés à emporter quoi que ce soit,
ils perdent tout. Il faut donc loger, vêtir, nourrir.
Les
enfants et les jeunes ne sont pas oubliés. On maintient envers et contre tout
la continuité de l’enseignement et de l’éducation. Pour soigner ceux qui
sont le plus traumatisés, on a organisé des séances de thérapie avec les
moyens locaux, en l’occurrence la musique. Par groupes, les enfants ont deux
séances de musico - thérapie par semaine.
Un
établissement secondaire accueille 850 élèves. Les habitants sont fiers, à
juste titre, de nous le faire visiter. Des jeunes, en apparence joyeux comme
tous ceux de leur âge, nous guident et nous montrent le toit, ou plutôt la
terrasse. Il faut savoir que les Palestiniens manquent d’eau, surtout dans
la bande de Gaza
En
effet Les israéliens récupèrent l’eau
qui descend des hauteurs grâce à des forages le long de la frontière entre
la bande de Gaza et Israël. Ils pompent cette eau
chez les colons qui l’utilisent
pour leur nécessaire et leur superflu, serres où ils cultivent des
fleurs ou piscines privées. Il ne reste aux Palestiniens que l’eau saumâtre
qui s’infiltre dans la nappe phréatique qui a été épuisée par les
colons.
Les
habitants d’Al-Qarara ont d’abord pensé
récupérer l’eau de pluie tombant sur la terrasse d’une maison en
achetant une citerne avec l’aide de Palestine 33. Ayant dû acheter
très cher cette citerne aux Israéliens,
ils ont alors opté pour un autre système de récupération de l’eau
de pluie sur les terrasses des établissements scolaires. Nous avons donc vu
l’installation, le système d¹épuration et nous avons « suivi »
l’eau jusqu’au robinet. Un élève est allé remplir un verre et nous
avons partagé ce verre d’eau, vraie communion, dans l’amitié partagée,
à la peine et aux réussites de ce peuple debout.
Mary